LE BONHEUR AU BOUT DE LA FIBRE ?
L’opération “Pau Broadband Country” à Pau
mercredi 23 novembre 2005
Parce qu’aujourd’hui le bilan (certes très provisoire) de l’opération “Pau Broadband Country” apparaît mitigé et surtout, assez profondément différent des intentions initiales - transformer une ville en raccordant tous ses habitants à un réseau de fibre optique -, on n’ose pas en parler ou alors, à demi-mots, en privé. C’est qu’on aime bien son promoteur, qu’on est reconnaissant à un édile d’avoir pris de tels risques, qu’on ne veut pas donner cette satisfaction aux éternels sceptiques…
Pourtant, aujourd’hui, nous devons regarder ensemble le devenir de ce projet emblématique. C’est pourquoi le dossier que publie aujourd’hui Jean-Marc Manach est important. Précisons tout de suite qu’il s’agit ici de tirer les leçons du projet d’une grande communauté urbaine, centré sur l’acheminement du haut (ou très haut) débit jusqu’à l’habitant. Ces enseignements ne s’appliquent pas aux initiatives des départements ou des régions, ou même d’autres communes plus petites ou plus enclavées, qui la plupart du temps, ne visent nullement le raccordement individuel de chaque foyer.
Que Pau ne soit pas devenue la “Florence du XXIe siècle” n’a rien d’étonnant. Que le projet ait connu retards, difficultés, doutes, relances, non plus. Aujourd’hui, il semble retrouver de l’allant, quelques usages émergent, les entreprises installées sur la zone y trouvent leur compte, d’autres sont attirées vers Pau et 300 emplois ont été créés, ce qui ne fait pas une révolution, mais qui a de quoi satisfaire plus d’un maire.
Cependant le constat s’impose : le bonheur n’arrive pas tout seul au bout de la fibre.
D’une part, la forte progression de l’Adsl a changé la donne dans les villes, partout dans le monde. Même si le Japon et la Corée, terres d’urbanisation hyperdense, comptent plusieurs millions d’abonnés à la fibre optique, l’Adsl y reste dix fois plus développé et sa progression se poursuit. La fibre (jusqu’au bâtiment ou au domicile, c’est - rappelons-le - de celle-ci que l’on parle) a dès aujourd’hui pour elle beaucoup d’arguments, à commencer par la symétrie des débits, mais il lui est plus difficile de les faire valoir. Et par ricochet, il ne suffit plus, pour une ville, de comparer les performances ou de montrer des trous dans la couverture, pour justifier les lourds investissements nécessaires au raccordement de chaque foyer à un réseau très haut débit. Il faut aussi un projet.
Si le réseau public, ou les opérateurs qui l’empruntent, se présentent comme des offreurs d’accès parmi d’autres, ils seront traités comme leurs concurrents : quel débit pour quel prix ? Puis-je faire du P2P ? Combien coûte la hotline ? Combien de chaînes de télé ? Y a-t-il des chaînes X ? Quels autres services m’offrez-vous ?… - Avec de surcroît la question du citoyen : et combien cela me coûte-t-il de plus en impôts, pour quel bénéfice collectif ?
Il en ira autrement s’il existe, en amont des pelleteuses, un projet commun (c’est-à-dire formulé en commun et partagé avec le tissu social et économique), celui qui a sans doute manqué à Pau et qu’il trouvera peut-être petit à petit, en marchant : que voulons-nous accomplir ensemble ? Quels projets citoyens, économiques, culturels trouvent-ils dans un réseau (ou d’autres éléments d’infrastructure, logicielle ou informationnelle) les moyens de se réaliser, se pérenniser, passer à l’échelle ? Pourquoi, de ce fait, telle architecture de réseau a-t-elle plus de sens qu’une autre ? Qu’est-ce que le projet accompagne, stimule, suscite ? Qui se l’approprie, qui l’habite ? Quelles priorités se fixe-t-on ? Et aussi, comment les acteurs publics en profitent-ils pour se transformer eux-mêmes, pour améliorer leur propre offre de services ?
Il faut bien des précurseurs pour essuyer les plâtres. Pau Broadband Country en fait partie et nous devons l’en remercier. La ville tire sûrement déjà les leçons de son expérience, aux autres d’en faire de même.
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